Le guacamole c’est des couleurs vives, des souvenirs et du bonheur.
C’est un plat qui me ramène à l’époque du Master, quand pour la première fois j’ai goûté un vrai guacamole, préparé par Jerry, collègue du Master et chef mexicain. Mais aussi à l’été 2017, lorsque, avec Jerry et d’autres amis, nous avons fait un voyage au Mexique, l’un des plus beaux de ma vie.
Pendant les vacances, toutes les excuses étaient bonnes pour commander et goûter le guacamole, auquel nous étions tous déjà accros.

Ayant la chance d’avoir un ami qui n’est pas seulement mexicain, mais aussi chef cuisinier, je ne pouvais pas ne pas l’impliquer dans la rédaction de cet article et, par conséquent, lui donner un peu de publicité.
Originaire de Cuernavaca, une ville non loin de Mexico, Gerardo Sanchez, dit Jerry, a travaillé dans de nombreuses cuisines au Mexique, dont celle du gouverneur de l’État de Morelos. Avec la belle ambition de faire connaître la cuisine mexicaine en Italie (et dans le monde entier) sans jamais la dénaturer, il est arrivé à Turin, où il est actuellement chef de cuisineau restaurant El Beso (à mon avis subjectif, mais pas trop, le restaurant mexicain aux saveurs les plus authentiques d’Italie).
Mais de quoi s’agit le guacamole exactement ?
Le guacamole est une sauce d’origine mexicaine à base d’avocat. Elle est utilisée pour accompagner les plats de viande et de poisson mais peut également être consommée seule avec les chips de tortilla.
Pour découvrir ses origines et ses secrets, commençons par parler de l’ingrédient de base de la préparation : l’avocat.

AVOCAT
L’avocat est le fruit de l’avocatier (Persea americana Mill.), plante originaire d’une vaste région qui s’étend du Mexique au Guatemala jusqu’aux côtes de l’océan Pacifique en Amérique centrale. L’avocat s’adapte très bien aux climats tropicaux ou subtropicaux et souffre de températures inférieures à 4 °C.
Ses origines remontent à plus de 5000 ans, lorsqu’il était l’un des principaux aliments des indigènes Aztèques1 et Mayas. Ils l’ont appelé āhuacatl, un mot qui signifie testicule, pour l’analogie avec la forme et la façon dont il pend de l’arbre. C’est précisément à cause de cette référence érotique qu’ils croyaient que le fruit avait des propriétés aphrodisiaques, de sorte qu’il était interdit aux femmes de le cueillir. Les Espagnols, pour faciliter la prononciation, l’ont appelé aguacate, qui a ensuite été modifié en abocado en espagnol moderne, avocado en anglais et en italien et avocat en français.

Le fruit est une drupe2 en forme de poire, de 7 à 20 centimètres de long. Elle a une peau lisse ou rugueuse de couleur verte ou violacée, selon la variété et la maturité. De plus il contient une pulpe crémeuse jaune-vert ou jaune pâle et un gros grain central. Le goût est délicat, un peu herbacé, qui se prête parfaitement aux préparations tant sucrées que salées. La consistance est onctueuse ; elle a la particularité, en fait, pour un fruit frais, d’être assez pauvre en glucides et très riche en graisses. C’est pourquoi il a été utilisé sur de nombreux navires au XVIIIe siècle comme substitut du beurre, tartiné sur des biscuits, et a été surnommé « le beurre du marin ».
Les deux principales variétés sur le marché sont la Fuerte et la Hass. La principale différence réside dans la peau du fruit mûr : la variété Fuerte garde la peau verte tandis que la variété Hass, plus précieuse et avec la peau ridée, devient violet foncé ou même noire à maturité.
Mon gourou Dario Bressanini (chimiste, divulgateur scientifique et grand expert en chimie alimentaire) propose de choisir, entre les deux, la variété Hass. Je lui ferais confiance. 😏
Une autre particularité de l’avocat est qu’il fait partie de ces fruits, dits « climactériques« , qui continuent à mûrir même après avoir été récoltés. Combien d’entre vous ont déjà acheté un avocat qui n’est pas encore mûr et doivent attendre quelques jours avant de pouvoir l’utiliser ? Le conseil pour comprendre si le fruit est mûr est d’appliquer une légère pression sur la peau : s’il est mou, il est prêt à être consommé.
LES FRUITS CLIMACTÉRIQUES
Nombreux sont les fruits climactériques qui se comportent comme l’avocat : par exemple les pommes, les bananes, les poires, les kiwis, les pêches, les melons et les tomates. Ces fruits, après avoir atteint la maturité physiologique, peuvent rester sur la plante pendant plusieurs mois, mais ce n’est qu’une fois détachés des arbres que sont déclenchés les mécanismes enzymatiques qui conduisent à la maturation complète du fruit. Une fois détachés de l’arbre, les fruits augmentent leur respiration et commencent à produire de l’éthylène, une hormone qui signale au fruit d’entrer dans la phase finale de maturation. Tant qu’il n’est pas coupé, les feuilles de la plante produisent des substances qui inhibent la production d’éthylène.
C’est la raison pour laquelle, si une pomme mûre est présente dans le panier de fruits, la maturation des fruits climactériques voisins est accélérée. En d’autres termes, si vous voulez que votre avocat mûrisse plus vite, vous devez le mettre à côté d’un autre fruit climatique mûr! 😉
GUACAMOLE
Le guacamole est l’une des recettes les plus emblématiques du Mexique, et l’on retrouve dans toutes les régions du pays.
Elle trouve son origine dans la civilisation aztèque. Divers documents historiques affirment l’existence de cette sauce dès le XVe siècle. Selon la mythologie préhispanique, Quetzalcoatl, le dieu toltèque, offrit la recette du guacamole à son peuple, qui l’étendit au territoire de la Mésoamérique, situé dans la partie centrale et orientale du Mexique et du Guatemala.
Le nom vient de l’union de deux mots aztèques : ahuacatl (avocat) et molli (mélange, sauce). Et comme le fruit dont elle est issue, la sauce avait aussi des propriétés aphrodisiaques pour les Aztèques.
Si du coup on se base sur l’étymologie, avec le mot guacamole on parle d’une sauce à l’avocat. Par conséquent il est probable qu’au départ la recette originale était juste de l’avocat écrasé.

Actuellement, la recette la plus courante consiste en la préparation de la pulpe d’avocat à partir d’avocats mûrs pilés au mortier, à laquelle on ajoute du jus de lime, de l’oignon rouge finement haché, de la coriandre et du piment. Le jus de lime est utilisé non seulement pour ajouter du goût, mais aussi parce qu’il conserve la couleur verte de l’avocat, en empêchant l’oxydation. Le coupable de ce changement de couleur est une enzyme, la polyphénol oxydase, qui utilise l’oxygène de l’air pour oxyder les polyphénols. Il y a deux façons d’éviter le noircissement : ajouter des substances acides (comme le lime ou le citron), qui ralentissent l’action de l’enzyme, ou soustraire l’oxygène, par exemple en recouvrant notre sauce d’un film alimentaire.

LE MOLCAJETE
Au Mexique, beaucoup de gens soutiennent que pour obtenir un bon guacamole, il faut non seulement des ingrédients de qualité, mais il est surtout essentiel d’écraser l’avocat dans un mortier de pierre volcanique, appelé molcajete.
Le molcajete (du nahuatl3 mulcazitl ou molcaxitl, composé de molli (sauce) et de caxitl (bol), « bol à sauce ») est un mortier utilisé dans la préparation d’aliments datant des civilisations méso-américaines précolombiennes, y compris des Aztèques et des Mayas. Il est constitué d’une pierre travaillée de forme concave et est traditionnellement faite d’un seul bloc de basalte vésiculaire et possède trois pieds. L’extérieur est souvent décoré de têtes d’animaux sculptées.
Si vous voulez l’acheter vous pouvez le trouver ici.
Il faut dire aussi que dans la cuisine traditionnelle mexicaine, on trouve deux types de guacamole : le premier, de consistance plus liquide, où la sauce à l’avocat est diluée (la plupart du temps avec de l’eau), et le second, de consistance plus épaisse, où l’avocat est pilé en conservant des morceaux entiers d’avocat. Dans les lieux de cuisine populaires, comme les kiosques de rue (appelés puestos ambulantes de comida) et les taquerias bon marché, il est servi la variété plus liquide, tandis que dans les bons restaurants, on peut aussi trouver des morceaux entiers d’avocat en dés dans la sauce. Cette-ci est la version de guacamole que les Mexicains preparent normalement chez eux.
Comme pour toutes les recettes, il existe des variations infinies, avec l’ajout de différents types d’épices ou d’autres ingrédients selon le goût personnel. Vous y trouverez souvent, par exemple, du tomatille4, des tomates en dés ou de l’ail.
Mais comme le dit Jerry : « si nous supposons que le guacamole est une sauce à l’avocat, nous pouvons y ajouter ce que nous voulons et celle-ci est la recette gagnante!”

Bien que le guacamole soit une sauce typiquement mexicaine, il est également utilisé dans d’autres cuisines d’Amérique latine, notamment vénézuélienne et colombienne. En Colombie en particulier, il est utilisé dans les différentes régions du pays (surtout dans les régions occidentales et centrales) comme assaisonnement pour les grillades, tandis que dans certains pays de la région de Cundinamarca, il est utilisé comme assaisonnement pour les salades.
Et maintenant un petit cadeau : la recette vidéo du guacamole de Jerry !
Profitez-en et bon apétit !
GUACAMOLE: LA RECETTE ORIGINALE
de Gerardo Sanchez
LES QUESTIONS D’ÉTHIQUE ET DE DURABILITÉ ENVIRONNEMENTALE
Lorsque nous parlons de l’avocat, nous ne pouvons malheureusement pas ne pas tenir compte de l‘impact que la forte demande de ce produit a sur l’environnement et sur les populations des pays producteurs.
En effet, ces dernières années, la consommation de ce fruit a considérablement augmenté, ce qui a causé de nombreux problèmes.
Le premier problème est la déforestation, en particulier dans l’État du Michoacán au Mexique (une des principales zones de culture du pays), et la conversion des terres en avocats.

Ensuite, une autre problème vient du fait que la production d’avocats a un coût de l’eau très élevé. Au Chili notamment, où l’eau a été privatisée depuis 1981, dans la province de Petorca, les grands producteurs d’avocats ont obtenu l’utilisation perpétuelle de l’eau, laissant la population littéralement sans eau.
Dernier mais pas des moindres, avant d’arriver sur nos tables, l’avocat doit faire face à un long voyage. Comme pour tous les produits importés, le transport de l’avocat d’une partie du globe à l’autre nuit à la santé de notre planète.
Y a-t-il donc un moyen de le consommer de manière durable ? Malheureusement, il n’y a pas de réponses simples.
Une solution que les experts entrevoient est de créer un système de certification similaire à celui qui existe pour le café. Cette solution nécessite toutefois un engagement et du temps.
L’idéal serait de le manger en se déplaçant dans les zones de production, mais comme l’arrêt total de l’achat d’avocats serait également un coup terrible pour les industries et ce seraient les populations qui en souffriraient le plus, il suffit de l’acheter de manière consciente et responsable.
Voici donc mes propositions ! 😊
1. Réduire l’achat. Il n’est pas nécessaire d’arrêter d’acheter des avocats et de renoncer une fois pour toutes à notre guacamole, mais cela ne signifie pas non plus qu’il faille en manger toutes les semaines.
2. Achetez des avocats français ! La chance de vivre dans un pays avec une grande diversité climatique se traduit également par le fait que certaines régions de la Corse sont propices à la culture de l’avocat ! Sûrement plus difficile à trouver dans les supermarchés, il faut plutôt les chercher dans les marchés locaux ou les Groupement d’Achat Service Épicerie (GASE).

- S.A.S. Patrick Berghman, société à Puntimoso, qui cultive avocats biologiques. Ils sont entre les fournisseurs de la Ruche qui dit oui.
- Alimea, coopérative à Bravone Linguizzetta qui cultive aussi avocats bio. On peut acheter leurs produits en-ligne ici.
N.B. Il faut cependant considérer que ce produit est saisonnier en Corse : la récolte des avocats commence en octobre (pour les variétés Zutano, Fuerte et Bacon) et se poursuit (avec le Hass) de janvier à avril, au plus tard jusqu’en mai. Ce sont les périodes pendant lesquelles il est possible d’acheter et de consommer des avocats corses.
Cela semble être un bon compromis, n’est-ce pas ? ! 😇
Car, comme le dit Falko Ernst, analyste senior de l’International Crisis Group, « le pouvoir des consommateurs n’est pas négligeable« .
POUR EN SAVOIR PLUS
Pour approfondir ces sujets, je vous recommande :
- l’intéressante série Rotten qu’on trouve sur Netflix, en particulier l’épisode La guerre des avocats
- l’article de Juliette Heuzebroc pour National Geographic “Au Chili, les avocats assèchent les cours d’eau”
- Avocados and stolen water, le reportage de Danwatch
Et maintenant, sur la plage et en regardant un coucher de soleil comme celui-ci, profitons d’un bon guacamole.
On va faire un toast et on planifie le prochain Food Tour au Mexique avec une michelada5 (la « bière assaisonnée » qu’ils aiment tant au Mexique) ou une margarita ! Personnellement, je laisse le premier aux estomacs forts et je choisis la margarita ! Santé ! 🍻
Lisez le prochain article de Histoires Gourmandes sur la Galette des Rois, l’une des traditions culinaires les plus singulières de France.

1 Les Aztèques étaient l’une des grandes civilisations précolombiennes. Originaires du nord de la Californie, ils se sont développés dans la région méso-américaine de l’actuel Mexique du 14ème au 16ème siècle.
2 Drupe est le terme botanique désignant un fruit indéhiscent(qui ne s’ouvre pas à maturité), charnu à noyau, comme la cerise, l’abricot ou l’olive.
3 Nāhuatl est une langue maternelle de la population aztèque.
4 La tomatille, également appelé « tomate mexicaine », est le fruit d’une plante (Physalis philadelphica) de la famille des Solanacées originaire du Mexique. Petit et de couleur très verte, il est en apparence très semblable aux alkékenges.
5 La michelada ou cerveza preparada est une boisson alcoolisée à base de bière mexicaine, à laquelle on ajoute du jus de citron vert, des épices, des sauces et du piment.
© PHOTO CREDITS: les deux photos représentant l’avocat et l’avocatier ont été gentiment offertes par Sicilia Avocado, une entreprise produisant des avocats siciliens, que je remercie pour leur gentillesse et leur disponibilité.
Pour la photo avec les ingrédients du molcajete, je remercie plutôt Jerry.
BIBLIOGRAPHIE
SITOGRAPHIE
- www.siciliaavocado.it/
- www.viaggiallafinedelmondo.it
- www.wikipedia.org/wiki/Persea_americana
- www.turismo.it/oltreconfine
- www.netflix.com
- www.slowfood.it/il-lato-oscuro-del-tuo-avocado-toast/
- www.slowfood.it/tutti-pazzi-lavocado-ce-dietro-lultima-moda-alimentare/
- www.slowfood.it/lavocado-nemico-delle-foreste/

Giulia Milani
Founder